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Publicité, déontologie et chirurgien-dentiste

Cet article traite de la déon­to­lo­gie du chirurgien-dentiste au regard de la publi­ci­té. Aux termes de la seconde phrase de l’article R. 4127 – 225 du Code de la san­té publique : « Sont éga­le­ment inter­dites toute publi­ci­té inté­res­sant un tiers ou une entre­prise indus­trielle ou com­mer­ciale ». Cette rédac­tion résulte du 8° de l’article 1er du décret n° 2020 – 1658 du 22 décembre 2020 pris après avis de la sec­tion sociale, por­tant modi­fi­ca­tion du code de déon­to­lo­gie des chirurgiens-dentistes et rela­tif à la com­mu­ni­ca­tion professionnelle.

Cette rédac­tion rem­place celle qui était en vigueur depuis 2004, lorsque la refonte du Code de la san­té publique dont j’étais char­gé au minis­tère de la Santé, avait conduit à insé­rer dans le Code de la san­té publique, les trois codes de déon­to­lo­gie des trois pro­fes­sions médi­cales, en repre­nant stric­te­ment les dis­po­si­tions alors en vigueur et en adop­tant pour ce faire une numé­ro­ta­tion tout à fait ori­gi­nale (cf. « la refonte du Code de la san­té publique (1992−2005) et les pro­fes­sions de san­té » publié le 23/07/2021 sur ce site).

Cette rédac­tion ancienne était ain­si rédi­gée : « sont éga­le­ment inter­dites toute publi­ci­té, toute réclame per­son­nelle ou inté­res­sant un tiers ou une firme quelconque. »

La rédac­tion actuelle fait suite à un arrêt du Conseil d’État annu­lant la déci­sion impli­cite de la ministre des Solidarités et de la Santé refu­sant d’abroger la seconde phrase du pre­mier ali­néa de l’article R. 4127 – 225 du Code de la san­té publique (Conseil d’État, 4e et 1re chambre réunie, 6 novembre 2019, 420225).

Au 7 de l’arrêt, le Conseil d’État juge : « S’il incombe au pou­voir régle­men­taire de défi­nir les condi­tions d’une uti­li­sa­tion, par les chirurgiens-dentistes, de pro­cé­dés de publi­ci­té com­pa­tibles avec les exi­gences de pro­tec­tion de la san­té publique, de digni­té de la pro­fes­sion de chirurgien-dentiste, de confra­ter­ni­té entre pra­ti­ciens et de confiance des malades envers les chirurgiens-dentistes, il résulte des sti­pu­la­tions de l’article 56 du Traité sur le fonc­tion­ne­ment de l’Union euro­péenne, telles qu’interprétées par la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne dans son arrêt ren­du le 4 mai 2017 dans l’affaire C −339÷15, ain­si que des dis­po­si­tions de l’article 8, para­graphe 1 de la direc­tive du 8 juin 2000, telles qu’interprétées par la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne dans son ordon­nance ren­due le 23 octobre 2018 dans l’affaire C‑296/18, qu’elles s’opposent à des dis­po­si­tions régle­men­taires qui inter­disent de manière géné­rale et abso­lue toute publi­ci­té, telles que celles qui figurent au 5e ali­néa de l’article R. 4127 – 215 et à la seconde phrase du pre­mier ali­néa de R. 4127 – 225 du Code de la san­té publique. »

Toutefois, la rédac­tion nou­velle inter­ve­nue de la seconde phrase de l’article R 4127 – 225 du Code de la san­té publique respecte-t-elle la déci­sion du Conseil d’État sta­tuant au contentieux ?

Déontologie et chirurgien-dentiste

Lorsque l’on com­pare la rédac­tion en vigueur depuis 2020 : « Sont éga­le­ment inter­dites toute publi­ci­té inté­res­sant un tiers ou une entre­prise indus­trielle ou com­mer­ciale » et celle qui la pré­cé­dait : « Sont éga­le­ment inter­dites toute publi­ci­té, toute réclame per­son­nelle ou inté­res­sant un tiers ou une firme quel­conque », on note que les mots : « toute réclame per­son­nelle » ont été sup­pri­més et que les mots « firme quel­conque » ont été rem­pla­cés par les mots : « entre­prise indus­trielle ou com­mer­ciale ». La sup­pres­sion du mot « réclame », obso­lète désor­mais pour dési­gner la publi­ci­té, allait de soi. Certes, le mot : « per­son­nelle » n’a pas été repris, ce qui ouvre un plus grand espace au pra­ti­cien pour se faire connaître. Mais rem­pla­cer les mots : « entre­prise indus­trielle ou com­mer­ciale » par les mots : « firme quel­conque » est-il un réel chan­ge­ment restrei­gnant la por­tée de l’interdiction ou un simple chan­ge­ment rédac­tion­nel ? Surtout, le main­tien des mots : « inté­res­sant un tiers » de por­tée indé­ter­mi­née ne laisse-t-il pas sub­sis­ter une inter­dic­tion géné­rale de la publi­ci­té, contraire au droit de l’Union ?

Il fau­drait donc que le Conseil d’État au conten­tieux se pro­non­çât sur la rédac­tion de la seconde phrase de l’article R. 4127 – 225, telle qu’issue du décret n° 2020 – 1658 du 22 décembre 2020.

Un chirurgien-dentiste, pour­sui­vi par les ins­tances dis­ci­pli­naires pour man­que­ment à l’interdiction posée par la seconde phrase de l’article R. 4127 – 225, pour­rait exci­per de l’illégalité de celle-ci au regard du droit de l’Union euro­péenne et pro­vo­quer en fin de pro­cé­dure, en cas de condam­na­tion, une déci­sion du Conseil d’État par voie de cassation.

Rappelons à cet égard que le Conseil d’État, 4e chambre, 13 octobre 2021, 427355, a annu­lé la déci­sion du 6 décembre 2018 de la Chambre dis­ci­pli­naire de l’ordre des chirurgiens-dentistes pour erreur de droit pour avoir jugé que le pra­ti­cien pour­sui­vi avait com­mis un man­que­ment à la deuxième phrase du pre­mier ali­néa de l’article R. 4127 – 225 du Code de la san­té publique dans une moti­va­tion qui n’est pas sans rap­pe­ler celle de sa déci­sion sus­men­tion­née du 6 novembre 2019.

« Il résulte des sti­pu­la­tions de l’article 56 du Traité sur le fonc­tion­ne­ment de l’Union euro­péenne, telles qu’interprétées par la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne dans son arrêt ren­du le 4 mai 2017 dans l’affaire C‑339/15, ain­si que des dis­po­si­tions de l’article 8, para­graphe 1 de la direc­tive 2000/31/CE du Parlement euro­péen et du Conseil, du 8 juin 2000, rela­tive à cer­tains aspects juri­diques des ser­vices de la socié­té de l’information, et notam­ment du com­merce élec­tro­nique, dans le mar­ché inté­rieur (« direc­tive sur le com­merce élec­tro­nique »), telles qu’interprétées par la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne dans son ordon­nance ren­due le 23 octobre 2018 dans l’affaire C‑296/18, qu’elles s’opposent à des dis­po­si­tions régle­men­taires qui inter­disent de manière géné­rale et abso­lue toute publi­ci­té et toute com­mu­ni­ca­tion com­mer­ciale par voie élec­tro­nique, telles que celles qui figurent au 3° de l’article R. 4127 – 215 du Code de la san­té publique. Par suite, en jugeant que les dis­po­si­tions du 3° de l’article R. 4127 – 215 du Code de la san­té publique et de la deuxième phrase du pre­mier ali­néa de l’article R. 4127 – 225 du même code n’étaient pas incom­pa­tibles avec le droit de l’Union euro­péenne et en rete­nant que M. A… avait com­mis un man­que­ment en les mécon­nais­sant, la chambre dis­ci­pli­naire natio­nale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a enta­ché sa déci­sion d’erreur de droit. »

Le même chirurgien-dentiste, pour­sui­vi devant les ins­tances dis­ci­pli­naires pour man­que­ment à l’interdiction posée par la seconde phrase de l’article R. 4127 – 225 dans sa rédac­tion actuelle, pour­rait sai­sir aus­si le Premier ministre d’une demande d’annulation de la rédac­tion en vigueur et sai­sir le Conseil d’État en annu­la­tion de son refus.

Ainsi, on pour­rait savoir si l’interdiction géné­rale de publi­ci­té posée par l’article R 4127 – 225 du Code de la san­té publique, dans sa rédac­tion actuelle, est légale ou pas, ce qui inté­resse tous les chirurgiens-dentistes et nous tous qui béné­fi­cions de leurs bons soins ou qui sommes sus­cep­tibles de s’adresser à tel ou tel d’entre eux, connu peut-être par la publi­ci­té à laquelle ce pra­ti­cien a eu recours.

Mars 2022, un mois important pour la Commission supérieure de codification

Par arrê­té du 1er mars 2022 a été nom­mé vice-président de la Commission supé­rieure de codi­fi­ca­tion M. Bernard STIRN, pré­sident de sec­tion hono­raire du Conseil d’État, membre de l’Institut, en rem­pla­ce­ment de M. Daniel LABETOULLE.

Rappelons que la Commission supé­rieure de codi­fi­ca­tion, dont l’installation en 1989 a signé et per­mis le renou­veau de la codi­fi­ca­tion, est une ins­ti­tu­tion pro­ba­ble­ment unique en France. Sous la pré­si­dence du Premier ministre, s’appuyant sur le secré­ta­riat géné­ral du Gouvernement, elle réunit par­le­men­taires, grands uni­ver­si­taires, repré­sen­tants des plus hautes juri­dic­tions fran­çaises, Conseil d’État, Cour de Cassation, Cour des Comptes et grandes admi­nis­tra­tions cen­trales de l’État.

Tous les pro­jets de codes nou­veaux doivent recueillir obli­ga­toi­re­ment son avis déli­vré à l’issue de séances plé­nières où aidée par le tra­vail de rap­por­teurs spé­cia­le­ment dési­gnés qui ont œuvré avec les admi­nis­tra­tions sup­port, elle exa­mine le plan, les textes codi­fiés qui seront de ce fait abro­gés, le pro­jet de texte, mot à mot, y com­pris dans ses dis­po­si­tions ultra­ma­rines, et donne des avis auto­ri­sés sur les dif­fi­cul­tés juri­diques de toute nature que la rédac­tion du pro­jet sou­lève, sur la répar­ti­tion déli­cate des dis­po­si­tions entre codes exis­tants et futur code, et véri­fie l’application qui est faite du prin­cipe de la hié­rar­chie des normes dans le projet.

Sur le fon­de­ment d’une loi d’habilitation fixant des délais impé­ra­tifs, le pro­jet d’ordonnance ain­si pré­pa­ré, avec les avis de la Commission, est trans­mis par le secré­ta­riat géné­ral du gou­ver­ne­ment à la sec­tion admi­nis­tra­tive com­pé­tente du Conseil d’État, avant qu’il soit exa­mi­né par l’assemblée géné­rale et publié par ordon­nance du Président de la République après exa­men en Conseil des ministres. La Commission recom­mande que la par­tie régle­men­taire du code, sou­mis à son même exa­men, soit publiée par décrets en même temps ou, si cela n’est pas pos­sible, dans les délais les plus rap­pro­chés de la par­tie législative.

Naturellement, le rôle du Vice-président de la Commission est essen­tiel. C’est sous son auto­ri­té que le pro­gramme de codi­fi­ca­tion est pré­pa­ré, c’est lui qui joue l’interface entre le Secrétariat géné­ral du gou­ver­ne­ment, les ministres et le Conseil d’État ; c’est lui qui sou­tient les efforts des admi­nis­tra­tions cen­trales dans leur rédac­tion des pro­jets. C’est lui qui fait que les rap­por­teurs par­ti­cu­liers, les admi­nis­tra­tions repré­sen­tées et tous les membres de la Commission qui l’entourent ont conscience de vivre, lors de séances plé­nières, des moments excep­tion­nels de leur vie pro­fes­sion­nelle. Le vice-président est aidé dans sa tâche en pre­mier lieu par un rap­por­teur général.

Rendre le droit plus accessible à tous

La Commission réa­lise ain­si un tra­vail unique d’impulsion, de coor­di­na­tion et d’expertise qui est tout à fait public et auquel tous ceux qui s’interrogent sur la fabrique du droit écrit peuvent se réfé­rer ; les rap­ports annuels de la Commission, avec notam­ment ses avis, sont publiés et acces­sibles à tous gra­tui­te­ment sur le site Légifrance, dans la par­tie « Codification », au cha­pitre « Rapports de la Commission supé­rieure de codi­fi­ca­tion », où l’on trouve à ce jour en libre accès tous les rap­ports de 2006 à 2020.

Les tra­vaux de la Commission supé­rieure de codi­fi­ca­tion, sous les quatre man­dats de la vice-présidence de Daniel LABETOULLE, sont consi­dé­rables. Le pré­sident et son rap­por­teur géné­ral ont consti­tué un duo excep­tion­nel. Il est vrai que les fonc­tions de Rapporteur géné­ral ont été assu­rées par l’étincelant Mathias GUYOMAR, pré­sident, depuis 2016, de la 10e chambre de la sec­tion du conten­tieux du Conseil d’État, élu juge à la Cour euro­péenne des droits de l’homme au titre de la France par l’Assemblée par­le­men­taire du Conseil de l’Europe le 28 jan­vier 2020 et depuis rem­pla­cé par une autre per­son­na­li­té émi­nente du Conseil d’État, Madame Anne COURREGES. Ces tra­vaux ont per­mis la publi­ca­tion de codes entiè­re­ment nou­veaux qui sont deve­nus aus­si­tôt des ouvrages de réfé­rence quo­ti­diens pour tous. Citons-en quelques-uns par­mi beau­coup d’autres. S’adressant au public le plus large, le Code des rela­tions entre le public et l’administration, code qui d’emblée a mon­tré que la doc­trine de la codi­fi­ca­tion n’était pas repliée sur elle-même, enfer­mée dans une répé­ti­tion du même, mais savait inno­ver pro­fon­dé­ment lorsque la matière l’exigeait ; la numé­ro­ta­tion des articles légis­la­tifs et des articles régle­men­taires est conti­nue pour faci­li­ter l’appropriation des dis­po­si­tions par le lec­teur. Examiné en 2019 et publié en 2021, le Code de jus­tice pénale des mineurs a mar­qué les esprits par la codi­fi­ca­tion d’un texte véné­rable, l’ordonnance de 1945, mais si sou­vent rema­nié qu’il deve­nait impra­ti­cable. Le der­nier code créé, exa­mi­né par la Commission dans les condi­tions si par­ti­cu­lières qu’imposait la pan­dé­mie, était atten­du depuis 25 ans ; il est déjà un code essen­tiel pour des mil­lions de per­sonnes, puisqu’il ne s’agit de rien de moins que du code géné­ral de la fonc­tion publique entré, pour sa par­tie légis­la­tive, en vigueur le 1er mars 2022.

Le Président LABETOULLE n’a pas sou­hai­té être recon­duit dans ses fonc­tions pour un cin­quième man­dat. Homme émi­nent, d’une grande sim­pli­ci­té, il consi­dère sans nos­tal­gie avoir accom­pli ce qu’il devait, clô­tu­rant un cycle de seize années d’un tra­vail consi­dé­rable. Sans doute est-il confor­té par la nomi­na­tion à la vice-présidence de la Commission du Président Bernard STIRN, autre très grande figure du Conseil d’État, qui rap­pelle qu’il fut le pre­mier rap­por­teur géné­ral pen­dant les deux pre­mières années de la Commission en 1989 et 1990. La conti­nui­té de l’action publique est ain­si assu­rée par ces grands ser­vi­teurs de l’État.

La codi­fi­ca­tion doit ain­si à ses deux anciens vice-présidents, Guy BRAIBANT et Daniel LABETOULLE, hommes excep­tion­nels par leur hau­teur de vue, leur intel­li­gence et leur auto­ri­té natu­relle, d’être deve­nue incon­tour­nable au ser­vice d’une grande ambi­tion. Quoi de plus exal­tant en effet que de tra­vailler à rendre le droit plus acces­sible à tous ?