La loi d’urgence, l’épidémie de covid-19 et le code de la santé publique

La loi n° 2030-290 du 23 mars 2020 d’ur­gence pour faire face à l’é­pi­dé­mie de covid-19 s’ouvre par un titre Ier « L’état d’ur­gence sani­taire », qui insère pour l’es­sen­tiel dans le code de la san­té publique un cha­pitre Ier Bis « état d’ur­gence sanitaire ».

L’écriture de ces articles légis­la­tifs fon­da­men­taux sus­cite quelques remarques quant à la codi­fi­ca­tion retenue.

Ce pre­mier mes­sage porte sur le trai­te­ment des Outre-mer. On sait en effet que l’op­tion inno­vante et com­bien jus­ti­fiée, tel­le­ment en avance, du code de la san­té publique, dans sa refonte opé­rée en juin 2000, avait consis­té à dis­so­cier dans les Outre-mer ceux d’entre eux pour les­quels les dis­po­si­tions s’ap­pliquent sans men­tion par­ti­cu­lière et le plus sou­vent sans aucune adap­ta­tion, et les autres, régies par le prin­cipe de spé­cia­li­té pour les­quels une dis­po­si­tion spé­ci­fique d’ap­pli­ca­tion est néces­saire et qui s’ac­com­pagne le plus sou­vent d’adaptations.

Covid-19 et Outre-mer

Nulle men­tion par­ti­cu­lière pour les pre­miers, sauf rares dis­po­si­tions d’a­dap­ta­tion ; les dis­po­si­tions spé­ci­fiques aux autres étaient sys­té­ma­ti­que­ment regrou­pées dans le titre ter­mi­nal de cha­cune des six par­ties du code – Mayotte étant régie alors par le prin­cipe de spé­cia­li­té. Dans le cas pré­sent, l’ar­ticle L 3131 – 12 énonce que l’é­tat d’ur­gence sani­taire « peut être décla­ré sur tout ou par­tie du ter­ri­toire métro­po­li­tain ain­si que sur le ter­ri­toire des col­lec­ti­vi­tés régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle Calédonie. »

De fait, l’en­semble du ter­ri­toire de la République, à l’ex­cep­tion seule­ment des Terres aus­trales et antarc­tiques fran­çaises et de Clipperton, est-il ain­si cou­vert, sans recou­rir pour les col­lec­ti­vi­tés de la Polynésie fran­çaise, de la Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna, à une men­tion par­ti­cu­lière spé­ci­fique qui aurait été insé­rée dans le der­nier titre de la troi­sième par­tie du code.

Si l’on a en mémoire que la Polynésie fran­çaise et la Nouvelle-Calédonie sont com­pé­tentes en matière de san­té, il en résulte que le cha­pitre insé­ré ici ne relève pas de la san­té au sens étroit du terme, mais d’une des com­pé­tences d’ex­cep­tion de l’État, telle qu’é­nu­mé­rées à l’ar­ticle 21 de la loi n° 99 – 209 orga­nique du 19 mars 1999 rela­tive à la Nouvelle-Calédonie.

Les problématiques de la codification

Il en résulte qu’une nou­velle fois le code de la san­té publique n’apparaît pas seule­ment comme un code tech­nique d’im­por­tance secon­daire, mais bien comme un ensemble de dis­po­si­tions qui touche à l’exer­cice du droit consti­tu­tion­nel à la pro­tec­tion de san­té, aux liber­tés publiques et aux droits fon­da­men­taux de la personne.

En termes de codi­fi­ca­tion, la numé­ro­ta­tion des articles du cha­pitre Ier bis « état d’ur­gence sani­taire », insé­ré après le cha­pitre Ier du titre III du livre Ier de la troi­sième par­tie du code de la san­té publique, s’est trou­vée confron­tée à une pro­blé­ma­tique déjà connue.

Rappelons qu’il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de bonne solu­tion à la numé­ro­ta­tion des articles d’un cha­pitre bis dans une codi­fi­ca­tion qui opère par numé­ro­ta­tion déci­male, prin­cipe de numé­ro­ta­tion adop­té depuis le renou­veau de la codi­fi­ca­tion de 1989 (le 1er chiffre ren­voie à la par­tie, le 2e au livre, le 3e au titre et le 4e au cha­pitre, les chiffres sui­vants après le tiret allant de 1 à x au sein de ce cha­pitre). De fait, un livre, un titre ou cha­pitre bis sont alors problématiques.

Le code de la san­té publique com­porte un cha­pitre Ier (article L. 3131 – 1 à L 3131 – 11) et un cha­pitre II (L. 3132 – 1 à L. 3132 – 3). Le pro­jet de loi pré­voyait une numé­ro­ta­tion pour le cha­pitre Ier bis allant de L. 3131 – 20 à L. 3131 – 28. Respectant les prin­cipes de la numé­ro­ta­tion déci­male, elle intro­dui­sait un saut au sein de la numé­ro­ta­tion conti­nue des articles pour dis­tin­guer ceux rele­vant du cha­pitre Ier qui dis­po­sait encore d’une marge impor­tante de ‑12 à ‑19, et ceux du cha­pitre I bis com­men­çant à ‑20.

Cette numé­ro­ta­tion est excep­tion­nelle, mais a quelques pré­cé­dents dans la codi­fi­ca­tion opé­rée en 2004 dans le code de la san­té publique des codes de déon­to­lo­gie des trois pro­fes­sions médi­cales. Ces codes régle­men­taires trouvent en effet leur base légale dans un seul et même article légis­la­tif de ce code, l’ar­ticle L. 4127 – 1, et leur codi­fi­ca­tion devait chan­ger le moins pos­sible les habi­tudes des pra­ti­ciens connais­sant par­fai­te­ment le numé­ro de tel ou tel article de leur code de déontologie.

C’est pour­quoi le code de déon­to­lo­gie des méde­cins est numé­ro­té de R 4127 – 1 à R 4127 – 112, celui des chirurgiens-dentistes de R 4127 – 201 à R 4127 – 284 et celui des sages- femmes de R 4127 – 301 à R 4127 – 367. Une numé­ro­ta­tion ana­logue par paliers dis­con­ti­nus au sein d’un même cha­pitre a été adop­tée en 2005 pour codi­fier les dif­fé­rents sta­tuts des pra­ti­ciens hos­pi­ta­liers. La numé­ro­ta­tion des articles du cha­pitre Ier bis, adop­tée dans le pro­jet de loi, a per­sis­té jus­qu’au texte adop­té par la com­mis­sion mixte pari­taire et en der­nière lec­ture par le Sénat.

Une codification temporaire ?

Le chan­ge­ment de numé­ro­ta­tion appa­raît, pour la pre­mière fois, dans le texte défi­ni­ti­ve­ment adop­té par l’Assemblée natio­nale le 22 mars où les articles sont numé­ro­tés de L. 3131 – 12 à L. 3131 – 20, le pre­mier article de ce cha­pitre I bis conti­nuant la numé­ro­ta­tion du der­nier article du cha­pitre Ier, solu­tion qui a des pré­cé­dents, mais qui est pro­blé­ma­tique en cas d’a­jouts d’ar­ticles dans le cha­pitre I.

Il convient aus­si de noter la por­tée du chan­ge­ment radi­cal de plan de la loi entre le pro­jet de loi et le texte publié. Selon le compte ren­du du Conseil des ministres du 18 mars 2020, le pro­jet de loi com­porte trois titres : le report du second tour des élec­tions muni­ci­pales, l’é­tat d’ur­gence sani­taire, et les mesures d’ur­gence éco­no­mique et d’a­dap­ta­tion à la lutte contre l’é­pi­dé­mie de covid-19.

En com­mis­sion mixte pari­taire, le séna­teur Alain Richard , par ailleurs membre de la Commission supé­rieure de codi­fi­ca­tion, obser­vait qu’il sem­blait logique que les dis­po­si­tions rela­tives à l’ur­gence sani­taire appa­raissent en tout pre­mier lieu. Aussi bien, la loi débute-t-elle ain­si en affi­chant en pre­mier sa dimen­sion de san­té publique, ce qui est par­fai­te­ment jus­ti­fié puisque les titres sui­vants inter­viennent aus­si sur fond de catas­trophe sanitaire.

Enfin, la loi com­porte une der­nière carac­té­ris­tique impor­tante en ce qu’elle relève d’une codi­fi­ca­tion tem­po­raire. En prin­cipe, les dis­po­si­tions codi­fiées ont un carac­tère pérenne et les dis­po­si­tions limi­tées dans un laps de temps court ne sont pas codi­fiées. Ici l’ar­ticle 7 pré­cise que le cha­pitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troi­sième par­tie du code de la san­té publique est appli­cable jus­qu’au 1er avril 2021. Au-delà de cette date, le code com­por­te­rait donc tou­jours un tel cha­pitre, mais deve­nu inapplicable.

Est-ce à dire qu’au-delà de cette date, nous n’au­rions plus à redou­ter de pan­dé­mies comme celle du covid-19 et n’au­rions plus besoin de dis­po­si­tions d’ex­cep­tion pour y faire face ou que les pou­voirs publics ont déjà en vue une révi­sion des dis­po­si­tions en cause, soit pour les pro­lon­ger encore, voire les rendre pérennes, soit pour les modi­fier à l’aune de leur per­ti­nence à faire face aux défis de notre temps ?

Paris, le 4 avril 2020

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.